SEPT SURFS

Sept surfs répartis sur quatre nouvelles qui glissent et qui rigolent. Illustrée ici par cette épreuve d’artiste linogravée.

Une Journée à la Plage (77 cm x 40 cm) – 110€ sans cadre – livrable sur Morlaix et les environs ou par envoi postal avec 5€ de frais de port.

I

Je me sens tendu. Tendu plus que de raison, depuis quelques minutes, sans trop savoir pourquoi. La promesse de merveilleux trains de houle sur la côte nord, que Poséidon n’avait su tenir la veille ? Peut-être. Ça avait commencé la nuit d’avant hier. La tempête annoncée et garantissant les festivités du jour ne s’est jamais pointée. Le genre de fausses promesses que l’on connaît par coeur, après des années passées à se faire entuber par miss météo. La leçon ne semble toujours pas avoir su trouver place dans ma déraison. Raisonnement futile mais qui revient souvent… serait-ce donc ça grandir ? Peut-être… Toujours est-il que je me sens tendu. Quelque chose dans l’air. Comme une sale odeur de marée. Celle qui n’a pas tenu sa parole. Je suis trop naïf.

Et puis cela fait déjà deux heures que l’on roule à cent trente cinq kilomètres heure, que je suis coincé sous un amoncellement de combinaisons néoprènes, de tentes, de sacs, de cartons débordant de cadavres de bières et de surfs. Deux heures que la sangle, retenant Quatre autres surfs sur le toit, s’imbibe sous la pluie battante pour venir déverser  sur ma nuque son trop plein d’humidité goutte glaciale après goutte glaciale. Deux heures que je ne peux qu’à peine distinguer le paysage et la route défiler tant je suis recroquevillé sur mon siège. Mais ce n’est pas l’inconfort ou la frustration qui me pèse le plus… je ne sais pas, je me sens juste tendu.

Les blagues de cul d’Anton me font rire. Un rire vaguement réel, pour lui faire plaisir. En moi je ne rigole pas. J’ai juste envie que l’on arrive, que je puisse me débarrasser de cette gêne. Je ne suis pas claustrophobe – il m’est déjà arrivé de dormir – de vivre même- dans une Twingo malgré mon mètre quatre vingt cinq – je ne suis pas anxieux de nature – mon histoire pourrait pourtant rendre mon cerveau et ma sensibilité quelque peu fragile – mais je ne supporte plus la situation. Un truc cloche.

Je demande à mon pote combien de temps il nous reste à rouler ainsi. Un petit quart d’heure vraisemblablement, sauf si bouchons – peu probables à cette heure ci. Le milieu de l’après midi bat son plein. « La côte Nord va être en feu… mon cul ouais » Je grommelle un truc sur ce qui nous était promis, comment nous nous étions fait avoir en beauté, une fois de plus, et me fait engueuler. Je me serais levé du mauvais pied et serais imbuvable. Une vraie tête de con quand je suis comme ça. Très bien. C’est probablement vrai. Je devrais faire des efforts des fois. Je me le promets. Mais cette tension qui pèse. Je ferai des efforts quand je serai sorti de cette maudite bagnole.

S’enchaînent deux coups. Sourds. Secs. Je me retourne tant bien que mal pour voir les surfs s’envoler dans un tourbillon avant de s’écraser avec force et fracas sur l’asphalte de l’A51. Je gueule à Anton de s’arrêter. Il se gare aussitôt sur la voie d’arrêt d’urgence. Je bondis hors de la voiture, d’autres véhicules passent en slalomant plus ou moins sur les surfs répandus sur l’autoroute. Un camion se met légèrement en travers tout warnings dehors. Je cours comme je peux pour récupérer les bouts de surfs sans me faire faucher par une voiture. Hormis le camion, personne ne ralentit. C’est un carnage de mousse, de fibres et de résine. Deux voitures forcent le pseudo-barrage du camion, et en doublant, klaxonnent en vociférant des insultes. Je le suppose tout du moins car ne n’entends strictement rien. Mes oreilles bourdonnent, je vois rouge. Un bout de métal reste avec un morceau de surf encore sanglé… Les attaches des sangles, trop rouillées, venaient de lâcher. Comme ça. Sans prévenir. Usée et rongée par l’iode des tempêtes qu’elles avaient dû supporter en bord de mer, à attendre que la fatigue prenne le dessus sur notre plaisir. Je récupère ce que je peux des surfs malgré les furieux qui ne cessent de vouloir passer coûte que coûte, klaxons rugissants et moteurs vrombissants… je ne sais pas comment je suis encore en vie.

Tard, très tard ce soir là, en m’endormant, je sais que quelques bouts de ces quatre surfs gisent orphelins au bord de l’A51.

II

L’homme n’a pas l’air super content. Non. L’homme est en colère. Il agite les bras vite et fort, il a le visage tout rouge et il hurle. Il hurle en postillonnant. Derrière lui, un hangar où des cartons s’amoncellent. La queue d’un avion en dépasse, des mecs en combinaison  font des va et vient, d’autres hommes armés et encagoulés les surveillent, impassibles. Devant ce colérique personnage, deux jeunes qui tentent de s’expliquer, un surf posé à leurs pieds. L’homme, tout de blanc vêtu, éructe, leur pointe du doigt l’absence de logique totale, qu’ils s’étaient crus à la plage ou en vacances et qu’ici ce n’était pas Honolulu. Son auditoire tente de le calmer, il explose une dernière fois puis se ravise, leur tourne le dos et s’en va vers le hangar. Un gars en blouse blanche leur amène deux sacs. Les trois personnages s’affairent autour du surf, puis l’homme à la blouse les quitte et retourne au hangar sous le regard inquisiteur des hommes armés. Les deux jeunes récupèrent leur surf et montent à bord de la jeep avec laquelle ils étaient arrivés une heure plus tôt.

Le truc c’est que ce colérique personnage est Pablo Charco, un narco trafiquant en pleine ascension, et que les deux jeunes sont deux doux rêveurs qui s’imaginent pouvoir vivre d’amour, de glisse et d’eau salée, en trafiquant un peu pour se payer de quoi subsister. Leur idéal de suivre les vagues d’un été sans fin était né en sortie de collège. Les années lycées avaient servi à élaborer des stratégies et à faire mûrir le projet. Il était temps maintenant de mettre le plan à exécution. Pour trafiquer tranquille, ils allaient utiliser des surfs creux qu’on remplirait de produits de contrebande à faire passer illégalement au nez et à la barbe des douaniers et autres autorités. L’idée de mettre à mal le système leur plaisait beaucoup. C’était un petit bonus, comme une cerise sur le gâteau, pour qui aime la cerise bien sûr…

Pablo s’était d’abord montré méfiant, et puis il s’était ravisé, pourquoi ne pas faire passer deux petits kilos de coraïne, son nouveau produit pour l’export, à l’intérieur des surfs pour voir ce que cela pourrait donner. Il aviserait par la suite. Aviser par la suite, c’est exactement ce que se disent les deux jeunes dans leur jeep, au moment où ils quittent la jungle abritant la cache du colérique narco trafiquant. Les veines gorgées d’adrénaline, ils se sentent libres. Libres comme le vent. Ce même vent qui s’engouffre dans la jeep, et qui arrache le surf hors du coffre. Sans capote pour retenir quoi que ce soit, le surf s’envole au dessus de la route et vient retomber comme une fleur de l’autre côté. Avant qu’ils ne puissent arrêter la voiture et faire demi tour, un van s’arrête à hauteur du surf chargé de drogue. Un homme à la moustache proéminente en descend et en fait le tour. Il s’accroupit, enlace maladroitement la planche, se redresse et la glisse dans son van par le haillon arrière. Un gros camion passe, couvrant les cris des deux jeunes restés de l’autre côté de la route.

En arrivant chez lui, le moustachu sort le surf de son coffre et l’amène à son fils. Tenue impeccable, proprement rasé et la coupe au carré, le fils s’étonne du cadeau que son père lui ramène mais poli, le remercie. Son père pense que cela lui ferait le plus grand bien de se détendre un peu avec une activité ludique, qui semble remplir de joie tous les hippies de la cote ouest. Lâcher un peu le pied sur son école des douanes lui ferait le plus grand bien. Il lui parle d’une voix douce pour lui dire que l’on ne peut pas atteindre ses rêves et devenir le plus grand douanier de tous les temps si l’on ne sait pas de temps en temps s’amuser un peu pour décompresser. Ému, promettant à son père de s’y intéresser dès ses prochaines vacances sur la cote ouest, le fils pose délicatement le surf contre la bibliothèque et devant une pile de bouquins d’école. Celui du dessus porte ce titre : De l’Art de la Contrebande – Volume XXIV  « les nouvelles techniques »

III

La brume file et s’effiloche dans le vent. Quelques rayons de soleil percent au travers et la nature s’éveille, s’ébruitant suffisamment pour que la curiosité de sa Majesté le Colombier se sente piquée et lui fasse sortir le bout de son nez. Sa crête saillante apparait hors des nuages, qui s’écartent et se prosternent devant le géant de pierre noire et aux entrailles bouillonnantes d’un magma incandescent. Disparaissant dans l’aube naissante, le brouillard n’est plus que nappes et fils cotonneusement fantomatiques. On peut distinguer sur l’horizon un point. Une ile. Toute verte…

L’ile n’est pas déserte. Un gars y a élu domicile depuis quelques temps. Naufragé volontaire, un Robinson ayant embrassé sa destinée avant même d’avoir commencé à paniquer. Nul ne saurait trop dire quant il était arrivé puisque personne n’était là avant lui et qu’aucun autre ne savait trop ce qu’il faisait avant d’arriver ici. D’aucun ne pense que le personnage dont quelques rumeurs suggérait l’existence n’existait tout simplement pas. Que fait il de ses journées ? La sieste, un peu de  cueillette des innombrables fruits qui peuplent l’ile, un peu de pêche selon la marée et encore un peu de sieste. Quand il ne vaque pas à ces menues tâches indispensable à la survie en milieu hostile, il médite, ou encore, quand l’Océan le lui permet, il surfe. Il est venu se perdre avec son surf oui. Un épicurien surfer. En quête d’ataraxie. Hédoniste, son seul bien matériel est un bout de mousse stratifié. Son trésor. Son précieux.

Les jours d’abord puis les semaines et les mois se sont enchaînés, avec leurs lots de difficultés et de remises en question mais aussi de moments magiques et d’utopie réelle. La vue du volcan d’en face le subjugue tous les matins, dans sa quête de romantisme empreint d’ermitage, où peut être est-ce l’inverse, il avait trouvé au moment de s’installer sur cette île que le volcan mettait une touche parfaite d’aventure et de risque. Pile poil ce qu’il recherchait pour qu’il se sente dans un lieu absolument hors du temps et de l’espace. De plus la proximité du volcan promettait de belles vagues. Il ne s’était pas trompé et jusqu’à maintenant, avait pu surfer presque tous les jours. D’ailleurs ce matin, la houle gronde sur la côte Est. Robinson – appelons-le ainsi – s’empare donc de son surf, non sans avoir ouvert une noix de coco, bu son eau et raclé sa chair. Ainsi, le ventre plein, s’en va-t-il vers les plages de la côte Est de ce qu’il aime à appeler, son îlot.

En descendant le sentier qui mène à cette plage, Robinson ne peut que remarquer l’épaisse fumée émanant hors du volcan. Il l’avait appelé le Colombier en mémoire d’une vieille montagne qu’il avait connu enfant. La forme s’en approchait suffisamment pour lui faire remonter en tête ce souvenir et il l’avait nommé ainsi. Il ne l’avait encore jamais vu entrer en activité. Fait est qu’il le pensait même éteint depuis des siècles au vu de la luxuriante végétation ornant les flancs du géant. Ce qu’il ne voit pas non plus venir, ce sont les scories, ces pierres qui se projettent loin hors de la fournaise. Elles viennent s’écraser tout autour de l’île sans qu’une seule ne touche la terre ferme. Rob’ n’en revient pas. Cette île est vraiment magique !!! Et levant les bras en l’air, brandissant fièrement son surf en l’air pour saluer le volcan et remercier les dieux qu’il s’était inventés depuis son temps passé sur l’île, une bourrasque lui arrache son surf des mains et la planche s’envole au loin.

« Regarde papa, le volcan a aussi recraché un surf !!! » La petite Jeanne se penche par dessus le bastingage et repêche une vieille planche jaunie par le temps et le soleil. Son volcanologue de père avait remarqué une pointe sur la carte. La pointe d’un volcan fraichement sorti de l’Océan. Il avait décidé de profiter de ses vacances pour emmener toute sa famille faire une croisière vers ce volcan encore jamais observé. La petite Jeanne, fière de sa trouvaille, se mit au surf l’été qui suivit et n’a plus décroché depuis. Le surf orne maintenant un mur. Quant à Robinson, la légende dit qu’il se serait changé en pierre, scrutant l’horizon, à attendre le retour de son surf.

IV

Tout bon surfer se doit d’avoir une planche fétiche.

Blaize n’échappe pas à la règle. Il n’échappe pas à beaucoup de règles ou cliché du surfer d’ailleurs. Les cheveux décolorés par le sel et le soleil, la peau à la frontière entre brûlée et bronzée, les mains calleuses, les muscles saillants, mal rasé, les yeux verts et intenses. Ajoutez à ça un t-shirt trop grand, délavé et déchiré, un short tout aussi passé et porté le plus bas possible dès lors qu’il n’est pas dans l’eau. Pour finir de compléter la panoplie, ajoutez y un sourire omniprésent qui ne manque pas de faire fondre la gent féminine – ou de le faire passer pour un débile auprès de la plupart des gens arpentant cette triste planète. Mais il a l’air gentil et comme tout bon gentil surfer qui se respecte, c’est un fainéant sur tout ce qui touche à la recherche d’un véritable emploi. Les soirées feux de camp sur la plage, les grasses matinées et la quête incessante de vagues au volant de son van pourri ne vont aucunement de pair avec une vie rangée aux horaires fixes. Rien de pire pour chopper la maladie de la routine n’est il pas ?

Seulement voilà. Quand le moteur de son van décrépi le lâche – pas une petite pièce ou juste une durite non, le moteur tout entier s’est mis d’accord, dans un jacuzzi d’huile suintante et giclante de toutes parts. Blaize, ouvrant le capot, doit bien se rendre à l’évidence. Constatant qu’il y a de l’huile absolument partout sauf là où elle devrait être, il ne pourra pas s’en tirer avec un chewing-gum, une canette d’aluminium et un bout de scotch. Il ne s’était jamais trouvé de velléité à travailler dans un garage et s’en était toujours félicité. La tête et les mains dans le cambouis quand on peut les avoir dans l’eau salée… Il lui faut donc des sous. Il n’a rien. Vendre le camion pour pièce lui permettrait de se payer un sandwich, deux peut-être. Blaize n’a donc d’autre choix que de se séparer de ses surfs. Il en a douze si l’on ne compte pas son surf fétiche Ce faisant, il ne se découvre pas de talent caché d’agent commercial, ce qui quelque part le conforte dans son choix de ne pas avoir voulu travailler dans cette branche. Et si il se réjouit d’avoir pu vendre à l’un de ces putains de hipster, un vieux surf au double de sa valeur, il se fait trop souvent avoir pour un sourire pulpeux surplombant un joli décolleté. Il réunit tout de même près de deux mille euros.. Avec ça, il allait pouvoir reprendre son errance houleuse. Blaize est heureux.

Et puis un jour, Blaize tombe amoureux. Elle ne surfe pas mais ne s’embête pas non plus sur la plage, malgré les longues heures à attendre qu’il en finisse avec l’Océan pour enfin s’occuper d’elle. Que demander de plus ? Lui, rien. Elle ? Ne pas aller voir si le gazon est meilleur sur la serviette d’en face. Une affaire simple, une affaire sereine même. Du moins le pense t’elle. Car ces yeux vert et ce sourire niais en font fondre plus d’une, et Blaize s’imagine gâcher tout ce potentiel de baise si il ne peut répondre aux attentes de chacune d’entre elles. Peu importe, son coeur n’appartient qu’à celle qui l’attend dans son camion. C’est l’amour qui compte, pas ce que l’on fait de son corps non ? Et tout l’été durant, d’Est en Ouest et du Nord au Sud, Blaise se donne. À l’Océan, à sa promise, à ses maîtresses. Elle ne voit rien, ne se doute de rien, son beau surfer l’emmène aux quatre coins du monde, Elle, est heureuse. Arrive l’hiver. Elle propose à Blaize de se poser quelques jours chez ses parents. Elle voudrait les lui présenter. Il accepte, les cartes météos annoncent le calme plat. Sa mère est dentiste, il en profitera pour faire inspecter ses dents. Et puis cela leur fera quelques repas gratuits de plus. La soupe populaire selon Blaize.

La bouche entrouverte dans le cabinet de la mère dentiste, Blaise effleure de ses doigts le contour de ses seins. La dentiste soupire en embrassant son patient. Il ne ferme pas les yeux quand leurs lèvres se touchent, il la fixe de son regard et elle adore ça. Les râles et halètements remplacent le bruit des fraiseuses. Ses dents sont impeccables. De l’autre coté de la porte, un sac de course tombe et une bouteille se brise. Ils ne s’en rendent même pas compte. Le rendez vous tarde un peu. « Il y avait du monde et un patient un peu compliqué » s’excuse la mère. Elle ne dit rien. Blaize se goinfre. À la fin du repas, Elle lui dit de faire son sac, qu’il doit la déposer à la gare car elle vient de trouver ce super nouveau job. Il la dépose, l’embrasse sur les quais et file vers l’Océan. Il enfile sa combinaison et sort son surf fétiche de sa housse. Enfin ce qu’il en reste. La vengeance d’Elle a été de poignarder – sauvagement serait un euphémisme – la planche de façon à ce qu’elle ressemble plus à un amas de confettis qu’à un quelconque objet de plaisir. Épinglé sur le dernier bout de surf une note à l’encre rouge « nouveaux honoraires pour cet hiver ».

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