NIENTE E PERSO

Aout 2019, Galice, quelque part au nord de Cedeira.

Une petite plage, des vagues qui déferlent, un petit village, un terrain d’herbe rase et entretenu déjà bien peuplé.

Bambi est fatigué, nous aussi, nous avisons un bout d’espace relativement plat et qui ne nous colle pas trop aux autres camping-caristes. Attiré par notre camping-car miniature, un couple d’italien vient discuter avec nous. Saucisson et vin rouge sont rapidement de mise, Gloria et Pietro donc, sont architectes tous les deux et vivent dans la vallée d’Aoste, non loin de Turin au pieds des Alpes italiennes. Ils nous demandent si rien ne gène dans l’idée qu’ils garent leur monospace Fiat aménagé à coté de nous. Aucun problème. Fusent alors les rires et anecdotes de part et d’autre de l’ancienne Savoie des Piemont-Sarde.

Alors que Gloria et Jeanne se font part nos périples ibérique respectifs, Pietro et moi-même échangeons sur le surf, et les quelques trips que cela nous a permis de faire. Très vite, le sujet dérape sur le skateboard, fraîchement olympisé de jeux. Pietro est architecte de skatepark.

Après une jeunesse passée dans les bowls et un titre de vice champion d’Italie en – de 18 ans, une triste série de sales blessures le tient trop longtemps éloigné de sa planche à roulette et la décision de ne pas continuer sur la voie d’une potentielle carrière professionnelle fut prise au profit d’études qui le menèrent jusqu’à ce récent statut d’architecte.

Depuis que le skate est devenu sport olympique, les skateparks fleurissent, il y a un interêt pour les communes à avoir leur propre installation. On ne sais jamais, parmi les jeunes usagers, l’un d’entre eux sera peut-être médaillé aux prochains jeux. Mais pour mon travail ça ne change pas grand chose. C’est peut-être même plus difficile encore. Le fait que ce soit devenu olympique impose des normes. Des normes dans l’agencement, des normes dans les choix de modules, dans les dimensions. La créativité n’est plus de mise, il faut juste un park « normal ». Donc les communes investissent de plus en plus c’est un fait, mais si c’est pour reproduire à la chaine un seul et même type de skatepark, ça n’est pas très interessant pour moi.

Oui, et est-ce que cela ne contribue pas à l’aseptisation de l’univers de la glisse ? Le surf aussi est devenu olympique. De même que l’escalade, le breakdance, … les choix de runs des riders, leur évolution sur une vague ou sur un skatepark ne se feront plus forcément en fonction de ce que la vague peut offrir, ou du flow qui porte le skater de banks en step down, mais en fonction d’une note qui doit être atteinte. Cela risque de tuer la pure créativité qui découle du skateboard, et au mieux, la fluidité en pâtira. On le voit déjà dans pas mal de coupe du monde. La normalisation d’une vague sans courbes, où seule la recherche de vitesse compte pour s’envoyer en l’air. Une vague avec potentiellement cinq ou six courbes se verra trahie par une transversale à toute vitesse qui sera conclue par une rotation aérienne et mécanique, à la réception brandissant les poings en l’air pour célébrer la manoeuvre et attirer l’attention sur la technicité absolue de la chose. La quête de la courbe, de la fluidité d’éxecution en prend un coup et l’on voit déjà une standardisation de la chose. Si encore il y avait de l’originalité dans les manœuvres effectuées, mais c’est plutôt l’inverse qui se produit, on voit encore et toujours la même rotation…

C’est possible que cela rende moins interessant le sport. A force de voir les mêmes standards se répéter encore et encore. De même que pour le ski et le snowboard, la sensation de déjà vu au fil des retransmissions sera probable. Mais de là à dire que c’est tout l’univers de la glisse qui en sera touché, je ne pense pas. L’olympisme de définit pas les sports de Glisse qu’il touche loin de là. Regarde ce qu’il représente du windsurf. Niente di niente. Personne ne s’y intéresse parmi ceux qui pratiquent le windsurf à la sauce sport extrême. Les riders s’en moquent. Restent ceux qui naviguent. Eux, seront probablement plus intéressés par l’aspect voile technique et performance que par l’aspect glisse créative.

Mhhhh. . . Ce que je vois aussi, c’est ce que la nouvelle génération cherche. Si il n’y a pas de caméras pour filmer l’exploit, la session n’en vaut plus la peine. J’ai écris un truc comme ça, à la mort de Ricardo Dos Santos, le surfeur brésilien qui s’est fait descendre dans son jardin par un flic camé. Un parallèle entre ce que la vraie vie et la vie de surfeur peut-être, une vie de rêve – chargée de rêve j’entends – hors du temps et de l’espace, mais qui se transforme petit à petit en une nouvelle quête de normalité, de reconnaissance de ses pairs et du reste du monde, quand il n’y avait avant que la soif de partager un moment unique avec soi-même ou en petit comité de potes d’un jour. Ce que je vois, ce sont les médias spécialisés qui poussent à ce mode de pensée. Se faire mousser soi, se mettre en valeur, pour attirer l’oeil, et puis dès qu’une réduction arrive sur l’achat d’une nouvelle board, on s’auto-proclame soutenu par l’industrie. Ce qui n’était qu’un simple geste commercial devient un acte de sponsoring. Et le jeune de se ruer sur son smartphone, se filmant et partageant jusqu’à l’overdose ses exploits, prenant toujours plus de risque, citant ses partenaires à chaque publication alors que de partenaire il n’y a pas. Ça pousse le vrai pro ou celui en devenir à repousser les limites pour toujours moins de soutient. Et sans discernement, les médias se gavent et relaient en masse – sans même pousser la plume pour transformer le post instagram originel en un article un minimum travaillé. Double pub pour la marque qui ne débourse pas un centime alors que son nom apparait deux fois. Jusqu’au jour où plus personne ne voudra mettre la main à la poche et là, le rider pro, celui qui fait rêver les enfants et qui donne envie de devenir comme lui, celui là-même qui permet de s’évader chaque nuit jusqu’à ce que le rêve s’accomplisse ou ne reste qu’un rêve justement, ce rider pro n’existera plus et avec sa disparition, la prétention de rêver librement. Il n’y aura alors de place que pour le rêve d’avoir le droit de travailler comme tout le monde pour faire un peu de skateboard ou de surf sur son temps libre. . .

Je ne suis pas sûr qu’on puisse en venir là. C’est vrai que la masse à tendance à évoluer dans cette direction, mais c’est une généralité que tu fais là. Je vois toujours des gamins avec les étoiles dans les yeux à chaque fois qu’ils voient un grand skater le park. Ils ne se filment pas, eux, ils le dévorent du regard, et une fois que c’est leur tour de s’élancer dans le bowl, ils tentent de reproduire les gestes de leurs ainés. C’est comme ça que j’ai commencé et j’en vois toujours. Tu parle de la généralisation du smartphone, de la go-pro et de cette branlette égo-centrique que la technologie amène. Je pense qu’il y a toujours eu un peu de ça, même à notre époque. Sauf qu’à notre époque il n’y avait pas toute cette technologie justement. Maintenant que c’est disponible, il ne faut pas forcément cracher dessus. Quelques gamins stars n’avait accès à rien et n’avait aucune chance de devenir les skaters qu’ils sont maintenant si quelqu’un n’était pas passé sur leur spot avec un appareil photo où une caméra pour filmer leurs exploits. Pour ce qui est des médias, je te rejoins complètement, c’est juste de la grosse merde. Je n’ai pas lu un magazine de skateboard ou de surf depuis un bon moment. Il me suffit d’en feuilleter quelques pages pour voir que rien n’a évolué sur la qualité du contenu où tout n’est que publicité. Et pour internet c’est pareil. J’ai Instagram pour le business mais je déteste cette application. C’est le carnival de l’égo-trip ce truc.

Et la nouvelle génération baigne dedans, ils sont né dedans même !!! Comment veux-tu que l’on s’en sorte avec des riders qui ne pensent plus qu’à eux-même, au nombre de like qu’ils vont avoir ? Sur les contests, ils sont tous sur leurs téléphones pour mettre à jour leur putains de story !!! Je faisais une interview d’un ancien rider BMX il y a quelques temps, il me disait ne plus supporter aller dans un skatepark tellement les gars sont devenus ego-centrés. Il avait l’habitude d’aller sur Montpellier lorsqu’il roulait pour Carhartt, et trouvait à l’époque toujours quelqu’un pour l’héberger le temps d’une ou deux soirées et la fête était omniprésente. Il y est retourné il y a trois ans. Que des regards noirs, des gars penchés sur leurs écrans aussitôt le tricks mis dans la boite. Pas un bonjour, encore moins de salut, rien. Il a halluciné. Même en skateboard où les mecs montent sur les podiums des coupes du monde avec la 8.6. dans une main et le mégot dans l’autre, l’ambiance se détériore. Sur la dizaine d’évènement où je me déplace dans l’année, il n’y en a eu qu’un seul où les riders se moquaient de tout et étaient là pour partager la bringue, le bowl et la bière. C’était au Skate Rock de Chamrousse et ça faisait un bien fou de voir que tout n’était pas perdu.

Tu vois, toi même tu le dis. Tout n’est pas perdu !!! Et même parmi ceux qui passent leur temps sur un téléphone pour vanter leur exploits, il y en aura qui réaliseront, qui se trouveront confronté à un moment d’éveil, face à un constat d’eux même et ils se reprendront en main. Je suis positif et persuadé que rien n’est perdu. Tu en est un bon exemple avec So Rad, tu ne suis pas la ligne générale, tu ne t’intéresse pas à l’exploit ni à la performance. Ça intéresse du monde non ? Et il y aura toujours des gens comme ça, qui cherchent la belle courbe, la belle ligne, au travers d’une aventure, des gens qui cherchent l’originalité et la découverte. Et tant que cette quête vivra, la Glisse continuera d’être célébrée. Credimi
Tu connais le slogan de So Rad ?
Non, dimmelo.
Un jour, la Glisse sauvera le monde. . .
Tu vois !!!

2 réflexions au sujet de « NIENTE E PERSO »

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.